Chapitre 27

   Rebecca !

J'ouvris immédiatement les yeux mais il me fallut quelques secondes pour réaliser où je me trouvais et surtout dans quelle tenue.

   Laisse-moi encore dormir, marmonnai-je.

           Ça aurait été avec plaisir, ma douce, mais on a un problème.

Je me glissai plus profondément dans les couvertures,

   Eh bien règle-le et fiche-moi la paix, grognai-je,

   Il y a le feu, Rebecca, dit-il d'un ton calme.

Je me redressai instinctivement.

   De quoi est-ce que tu parles ?

Au même moment, je réalisais que de la fumée passait sous la porte.

           Tu sais qu'il existe des moyens bien moins cormpliqués pour contraindre une femme à quitter ton lit ? dis-je en me précipitant sur mon jean et un tee-shirt.

Il sourit.

            Je ne voulais pas prendre le risque que tu t'incrustes.

Je levai les yeux au ciel.

           Recule-toi, dis-je en saisissant la couverture pour attraper la poignée de la porte.

Mais je m'aperçus rapidement, vu la grandeur des flammes, que toute sortie était impossible.

La chambre de Raphaël était la seule pièce de la maison, hormis la gigantesque cave voûtée qui se trouvait au sous-sol, à ne pas posséder de fenêtre. Et je n'avais pas besoin qu'on m'en explique la raison. Raphaël couchait avec des vampires et s'il ne craignait pas la lumière du jour, ce n'était pas le cas de ses maîtresses.

   Qu'est-ce qu'on fait ? demandai-je.

     On sort, dit-il en appuyant sur le mur derrière le lit.

Un passage apparut aussitôt.

          Tu as un passage secret comme les rois et les seigneurs dans leurs châteaux ?

Je n'étais pas vraiment surprise. Après tout, c'était monnaie courante à l'époque, et Raphaël avait vécu le Moyen Age, la renaissance et autres joyeuses périodes historiques où ce genre d'issues de secours s'étaient souvent montrées indispensables.

   Ce n'est pas la première fois qu'on tente de me tuer, ma douce, dit-il en s'engouffrant à l'intérieur.

Le feu était généralement le seul moyen de tuer un vampire. Ils s'enflammaient comme des torches avant même qu'on puisse dire ouf. Mais tout le monde ne pouvait pas toujours se promener avec un lance-flamme. Du moins, pas sans s'attirer d'ennuis avec la police humaine. Les flics humains ont un côté beaucoup trop tatillon.

       Où est-ce que ça mène ? demandai-je en le suivant.

Il y a plusieurs chemins, l'un d'entre eux mène près du grand arbre, à droite du parking, répondit-il.

   Je n'y vois rien, dis-je en trébuchant.

Je sentis sa main glisser dans la mienne.

          Excuse-moi, j'ai oublié que tu n'étais pas l'une des nôtres.

Je ne savais pas de quelle manière je devais Ie prendre.

           Ce n'est pas parce que je ne peux pas voir dans l'obscurité que je ne peux pas te frapper, dis-je.

           Il faut faire vite si nous voulons les sauver, Rebecca, répondit-il en accélérant le pas.

Nous ressortîmes vingt mètres plus loin par une trappe couverte de verdure, au pied du grand sapin Raphaël me hissa et mes yeux se tournèrent immédiatement vers les flammes.

Le feu avait éclaté dans l'aile ouest de la maison, les quartiers privés de Raphaël. Il semblait se propager rapidement mais se limitait, pour l'instant, au premier étage.

           Ils sont combien dans les caves ? demandai-je aussitôt.

          Une quarantaine dans ce bâtiment. La garde du Mortefilis, celle de Michael et quelques hommes à moi

Je me voyais mal transporter quarante vampires en seulement quelques minutes. Et n'y voyez aucune mauvaise volonté de ma part.

   Où sont Michael et Felipe ?

          Ils disposent chacun d'une chambre sans fenêtre au deuxième, dans l'aile est.

   Tu as une suggestion ?

          Je ne peux pas m'approcher du feu mais je refuse de les laisser mourir, dit-il.

           OK. Alors pourquoi ne pas tenter quelque chose de dingue... suggérai-je.

   De quoi parles-tu ?

   Le pouvoir de l'Eau, dis-je.

   Je croyais que tu ne le maîtrisais pas ?

En effet, je ne le maîtrisais pas. J'étais capable, lorsque je perdais tout contrôle, d'appeler les quatre éléments simultanément mais je n'avais jamais réussi à invoquer individuellement le pouvoir de l'Eau.

           Depuis que tu m'as marquée, je l'ai senti venir à moi par deux fois sans toutefois parvenir à le retenir.

   Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?

   Je n'en sais rien. Ça me faisait peur.

Les sorcières de guerre les plus aguerries étaient capables de maîtriser au mieux trois des quatre éléments. Si j'entrais en possession du quatrième, ça ferait de moi un cas unique. Et je ne savais pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose.

-— Mes propres pouvoirs ont considérablement augmenté depuis que je porte ta salamandre, mais je ne savais pas que ça avait le même effet sur toi, dit-il d'un air songeur.

         Je ne sais pas si je serais capable ou non d'appeler le pouvoir de l'Eau, Raphaël. Il est venu puis est reparti sans que je fasse quoi que ce soit.

        J'ai confiance en toi, dit-il alors avant de s'envoler jusqu'au premier étage de la maison.

Je le vis casser la fenêtre de la chambre où dormait Felipe Montegar et pénétrer à l'intérieur.

Je n'avais aucun doute sur le fait qu'il aurait préféré se ruer au secours de Frédéric et de ses hommes mais je savais, tout comme lui, que nous n'avions pas le choix. Rien de fâcheux ne devait arriver à l'émissaire du Mortefilis. Du moins pas si nous voulions survivre à leur prochaine visite.

Je me concentrai sur la magie et m'accroupis un instant, au-dessus du robinet servant à l'arrosage. Puis tournai le bouton. L'eau surgit bientôt du tuyau et je commençai sans grand succès à tenter de l'attirer vers moi. De capter son essence. Mais rien ne se passait.

          Raphael, ce serait plus efficace si tu liais tes pouvoirs aux miens, criai-je en espérant qu'il m'entendrait

Entrer dans une maison partiellement en flammes ne me paraissait pas un très bon moyen de rester en vie pour un vampire. Et je commençai malgré moi à me sentir nerveuse. Je ne voulais pas, je ne pouvais pas supporter l'idée qu'il puisse lui arriver quoi que ce soit. Et ça aussi c'était totalement nouveau pour moi. Peut-être était-ce simplement dû à la magie qui nous avait unis l'un à l'autre, peut-être pas, mais je sentais mon cœur se serrer au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient.

   Raphael !!!

Le feu avait maintenant envahi pratiquement tout le premier étage.

Je propulsai mes pouvoirs vers Raphael et abattis ses barrières mentales.

   Où es-tu ? Réponds, putain !

   On ne t'a jamais appris la délicatesse ? Tu viens d'entrer dans mon esprit comme un troupeau de rhinocéros en colère.

  Le feu gagne du terrain, sors de là !

  Je ne peux pas.

   Quoi ?

   J'ai pu redescendre Felipe dans les caves mais il y a encore trop de monde ici. À commencer par Michael.

Les caves du bâtiment étaient équipées de portes coupe-feu mais c'était une précaution inutile si toute la maison s'effondrait brusquement et que je ne parvenais pas à appeler le pouvoir de l'Eau.

   Laisse-le crever et sors d'ici !

   Non ma douce. Je ne peux pas faire ça.

   Je ne te savais pas ce côté bêtement héroïque...

     Nous ne pouvons pas risquer une guerre entre nos deux continents et c 'est ce qui arrivera si le Consiliere meurt de manière si suspecte.

   Je t'en prie...

Mais il avait redressé ses barrières mentales et les maintenait fermement. J'avais envie de hurler.

Je me tournai une nouvelle fois vers ce fichu robinet. Je l'avais laissé ouvert et une flaque d'eau s'était formée autour du tuyau. Je me concentrai quelques secondes puis plongeai mes mains dans l'eau. Je me devais de réussir ou Raphaël et au moins une quarantaine de vampires périraient dans l'incendie. J'abattis toutes mes défenses et tendis mon énergie instinctivement vers mon cou, où se trouvait le symbole de notre lien, la fleur de lys tatouée dans ma chair. Bientôt, un froid étrange s'écoula de ma nuque vers le long de ma colonne vertébrale. Puis, je le sentis se propager dans le reste de mon corps. Je reconnus, au moment où il se posait sur ma langue, le goût à la fois doux et glacial du pouvoir de Raphaël. Il enflait à chaque seconde et appelait désespérément la magie, tapie au fond de moi. Finalement, un flot de puissance à l'état brut parcourut mes veines et se jeta avec violence vers le pouvoir froid. Il se mêla à lui dans une danse macabre où la vie et la mort semblaient mener un étrange combat. La douleur était telle que je crus un instant que j'allais me consumer et éclater en des milliers de particules de magie à l'état brut. C'était comme un raz-de-marée qui menaçait de me submerger à tout moment. Je me concentrai et dirigeai tant bien que mal cet afflux de pouvoir vers mes mains, le souffle coupé par la souffrance. J'avais à peine prononcé le dernier mot de mon incantation, que l'eau commença à se mouvoir. La flaque se mit à grossir à une vitesse vertigineuse qui n'avait plus rien à voir avec le minuscule filet d'eau qui sortait du tuyau. Elle formait maintenant un immense bassin. La magie se mit à tourbillonner à l'extérieur et à l'intérieur de moi. Le pouvoir de l'Eau m'appelait, me reconnaissait enfin. Son chant résonnait dans mon cœur et dans mon âme. Je le sentis me soulever et m'entraîner dans des trombes d'eau. La sensation au début ne me gênait pas trop. J'avais l'impression de me baigner dans une piscine à remous mais les choses changèrent rapidement. Les clapotis dans l'eau se transformèrent bientôt en vagues épaisses. Et je me retrouvai comme au cœur d'un torrent. Les rapides me labouraient le corps, m'écrasaient la poitrine et m'emportaient toujours plus loin vers le fond. Je tentais à maintes reprises de remonter à la surface pour respirer, mais à chaque fois que j'essayai de me débattre, la pression du courant rendait mes efforts inutiles. Je sentis mes poumons se remplir et mon corps chuter dans une eau encore plus profonde. Plus sombre. Plus froide Puis soudain, la panique que je ressentais un instant plus tôt me déserta brutalement et fit place à un profond bien-être.

J'étais toujours submergée, pratiquement morte, mais la peur avait disparu. Ne restait qu'un sentiment d'apaisement, de calme, de silence.

   Morgane...

Des bras faits d'une matière liquide, chaude et douce me tiraient vers la lumière. Mon cœur battait toujours mais, curieusement, je n'y voyais aucun mystère. Je sentis bientôt sur mon visage une chaleur irréelle. Différente de celle du soleil. Une chaleur qui ne réchauffait pas seulement ma peau mais aussi mon être tout entier. J'ouvris les yeux et vis que je flottais, nue, au milieu d'un minuscule lac couvert de fleurs roses et bleues aussi exotiques que magnifiques. Elle, radieuse, luminescente, se penchait au-dessus de moi. Ma raison avait disparu. Je la contemplais, l'esprit désintégré, envoûtée par la beauté de son aura, de sa présence.

Elle se mit à rire et je me surpris à faire de même.

  Je n'ai pas résisté à l'envie de te revoir, Prima, mais tu dois repartir...

J'essayai d'ouvrir la bouche mais aucun son n'en sortit. Je voulais lui dire qu'elle se trompait. Que j'avais trahi mes vœux, mon peuple. Que je ne serais jamais capable d'accomplir la tâche qui m'était dévolue, mais tous les mots semblaient disparaître un par un et se perdre dans son sourire...

Puis, soudain, je me retrouvais sur un sol dur et humide. Le ciel au-dessus de ma tête, les nuages semblant se multiplier à chaque battement de mes cils. Je me redressai et compris à mes douleurs musculaires que j'avais retrouvé le monde réel. Un monde en feu. Les flammes avaient maintenant envahi tout le premier étage et se propageaient au deuxième.

   Raphaël...

C'est drôle, je pensais que Beth et ma fille étaient les seules personnes au monde pour lesquelles je serais capable de paniquer. Les seules qui pourraient me faire perdre mon sang-froid et éprouver une émotion. Mais visiblement, j'avais tort. Mon estomac se soulevait littéralement à l'idée de perdre Raphaël. Et la souffrance m'envahissait complètement.

Je tendis la main vers l'eau qui sortait maintenant normalement du tuyau et la sentis tout à coup venir en moi. Son pouvoir se mit à couler dans mes veines et je projetai les mains tendues vers la maison un torrent violent qui fit voler en éclats toutes les fenêtres. Je sentis aussitôt la magie de l'Eau éteindre les foyers, inonder les sols et les murs, puis disparaître brusquement, une fois son office terminé. Au moins, il n'y aurait pas de liquide à drainer ou à aspirer.

  Tu sais que tu es étonnante ? fit une voix par l'une des fenêtres du deuxième étage.

Il était vivant. Tant mieux. J'allais pouvoir l'étrangler,

   Et toi tu sais que tu es complètement cinglé ?

   Je croyais que les Vikaris savaient dompter leur peur et leurs sentiments ?

   C'était quoi ? Un test ? demandai-je d'un ton rageur.

   J'ai senti ton angoisse mais je savais que si je t'avais répondu, tu aurais perdu du temps à me convaincre de sortir plutôt que d'utiliser tes pouvoirs pour nous sauver tous.

Il s'envola par la fenêtre, un cercueil dans les bras.

   C'est Michael ? demandai-je.

Il hocha la tête.

   Tu ne trouves pas que le cercueil fait un peu trop folklorique ?

   On n'a rien trouvé de mieux pour l'instant, dit-il en haussant nonchalamment les épaules et en le déposant sous un arbre.

           Ne le laisse pas là, les humains pourraient débarquer.

           Tu ne crois pas si bien dire. Les pompiers arrivent, dit-il en fronçant son joli nez.

    Super...

Raphaël porta le cercueil dans son bureau du rez-de-chaussée et réapparut quelques secondes plus tard au moment où une escouade de pompiers s'introduisait dans l'allée.

           Bonjour, messieurs, fis-je en m'avançant vers le plus âgé d'entre eux que je supposais être le capitaine. Je crois que vous arrivez un peu trop tard.

L'homme était costaud, il avait les tempes grises et de grands cernes sous les yeux. Je lui donnais la cinquantaine et il n'avait pas l'air commode.

          Bonjour madame. Que s'est-il passé ? demanda-t-il, avec un regard inquisiteur, en voyant les dernières évaporations de fumée disparaître.

          Il semble que nous ayons eu un court-circuit mais tout est réglé maintenant, répondit Raphaël en lui adressant un sourire des plus charmeurs.

          Franck, Murray, allez jeter un coup d'œil, ordonna-t-il.

Deux hommes munis de leur tenue d'intervention descendirent alors du camion.

         Ce n'est pas utile, Capitaine, fit alors Raphaël, d'une voix que je ne lui avais jamais entendue jusqu'alors.

Je sentais son pouvoir envahir l'humain et pénétrer son cerveau. Les pouvoirs psychiques du vampire étaient tels que le capitaine n'avait pas la moindre chance de s'en sortir. Le vampire pouvait manipuler n'importe lequel de ces hommes et les soumettre à sa volonté. Je ne l'avais jamais vu faire avec les gens normaux, j'observais donc la scène avec la plus grande attention.

   Vous devez vous en aller, John, maintenant.

Le pouvoir transpirait dans sa voix et je ressentis quelques frissons. Le regard du capitaine était vide, il n'y avait plus aucune expression sur son visage. C'était comme si sa personnalité avait entièrement disparu.

           Franck, Murray, laissez tomber. On n'a plus rien à faire ici !

Les deux hommes se tournèrent vers leur supérieur hiérarchique un peu surpris, mais obtempérèrent aussitôt. Comme de bons petits soldats.

            Au revoir, Capitaine, dit Raphaël d'une voix toujours étrange.

           Au revoir, monsieur, dit-il en remontant dans le camion comme un zombie.

Je les regardai repartir soulagée et me tournai vers Raphaël.

           Tu crois qu'ils ne vont pas remarquer le comportement étrange du capitaine ?

           Non. Il est à nouveau lui-même. Je l'ai simplement persuadé que c'était un simple problème électrique, que tout était normal et qu'il devait rentrer à la caserne.

   Impressionnée ?

   Non.

           C'est bien ce que je pensais. J'ai déposé Michael dans mon bureau, mais je n'ai pas l'intention de le laisser là, est-ce que tu peux descendre et dire à Frédéric que tout danger est écarté ?

   Il est réveillé ? fis-je, surprise.

         Oui. J'ai versé quelques gouttes de mon sang dans sa gorge juste au cas où j'aurais besoin d'aide.

         Ah ? Tu peux faire ça ? Je veux dire rendre un vampire diurne grâce à ton sang ? Tu ne risques pas de te créer un autre Infant ?

         Non, pas en si petite quantité. Là, les effets vont rester limités. Va voir Frédéric, s'il te plaît.

        D'accord, dis-je sans grand enthousiasme. Depuis quand étais-je devenue secrétaire pour vampires, moi ? En plus, je n'avais aucune sympathie pour le capitaine de la garde du Mortefilis. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je les aurais laissés cramer lui et tous les autres. (Bon. J'aurais peut-être sauvé Hector. Un majordome aussi compétent est impossible à remplacer...)

Les caves étaient restées intactes. Tout comme les lits où gisaient les vampires. Je contrôlai l'état de santé de chacun à l'aide de la lampe torche, comme un surveillant de dortoir d'internat. Tout semblait parfaitement normal. J'allais m'enfoncer plus avant lorsque j'entendis un raclement de gorge.

        Vous vous êtes perdue ? demanda Frédéric en me dévisageant.

   Non. Je vous cherchais.

   Vraiment ?

        Raphaël veut que vous sachiez que tout danger est écarté et que le feu est éteint.

Il m'empoigna.

   Qui êtes-vous ?

   Lâchez-moi !

   Où étiez-vous ?

   Frédéric !

Raphaël avait surgi et la colère s'affichait sur son visage.

— Tu ferais mieux de la remercier. Si elle n'était pas intervenue, tu serais mort à l'heure qu'il est.

Dire que je pensais qu'il l'était déjà...

           Lâchez-moi, Frédéric ! lui ordonnai-je sèchement.

Une aura rouge m'entourait et mon pouvoir crépitait le long de ma peau. Une expression de haine et de peur s'afficha sur le visage de Frédéric qui recula aussitôt.

           Une sorcière de guerre... murmura-t-il en déglutissant difficilement.

           Frédéric, ne fais pas de bêtises, dit Raphaël, d'une voix menaçante.

   Maître, est-ce que vous saviez qu'elle...

           Je sais parfaitement ce qu'est Rebecca, l'interrompit-il. Mais toi tu oublies qu'elle est ma femme. Et qu'elle t'a sauvé la vie, ainsi qu'à tous les autres.

          Les sorcières comme elle ne sauvent pas la vie des vampires. Elles les tuent, dit-il froidement.

           Il me ferait presque regretter de lui avoir sauvé la peau, ce con, remarquai-je en me frottant le poignet.

           Comment savez-vous que ce n'est pas elle qui a mis le feu ? insista-t-il en ne me quittant pas des yeux.

           Si elle avait voulu tous nous éliminer, elle ne nous aurait pas manqué, répondit sobrement Raphaël.

          Je possède le pouvoir de mettre le feu où bon me semble, et si j'en avais été responsable, j'aurais commencé par incendier les caves pour liquider la garde. Je n'aurais certainement pas pris le risque d'allumer les quartiers de Raphaël et de me faire prendre au piège par le brasier comme ça a failli être le cas, dis-je d'un ton condescendant.

   Elle dit la vérité, confirma sobrement Raphaël.

Frédéric réfléchit durant quelques secondes.

   Vous avez confiance en elle ?

   Absolument, répondit-il.

           Vous vous êtes trouvé un drôle d'animal de compagnie, maître, dit-il d'un ton à la fois inquiet et admiratif. Comment vous y êtes-vous pris ?

           Il a été assez intelligent pour me séduire et assez prudent pour ne pas m'insulter, fis-je en appelant le pouvoir de l'Air et en le propulsant violemment contre le mur.

           Rebecca ! soupira Raphaël, en levant ses yeux au ciel.

   Quoi ? Il l'a cherché, non ?

Frédéric nous regardait, collé sur le mur, à l'autre bout de la pièce, l'air contrit.

           Je suis désolé, Rebecca, je ne voulais pas vous offenser, dit-il, en frottant ses vêtements pleins de poussière.

-— Alors cessez de me considérer comme un vulgaire objet ou le clou d'une collection, dis-je sèchement.

-— Si c'est l'impression que je vous ai donnée, j'en suis navré. Je suis simplement ébahi qu'un lien puisse avoir été établi entre nos deux espèces, dit-il en avançant vers nous.

   Vous n'avez pas été le seul, fis-je sèchement.

           Non, sans doute pas, reconnut-il. Mais ça explique pas mal de choses...

Il se tourna vers Raphaël.

Je suppose que Felipe et les autres membres du Mortefilis sont au courant pour elle ?

—- Oui, dit Raphaël.

   Ainsi que les Français...

   Exact.

           Ils ne vont pas vous l'abandonner si facilement, affirma-t-il d'un ton songeur.

   Ils n'ont pas le choix. Elle porte ma marque.

           Et elle la portera tant que vous serez en vie... remarqua judicieusement Frédéric.

   Où veux-tu en venir ?

           Le feu a démarré près de votre chambre... je crois que ça paraît clair, non ?

           Quel aurait été l'intérêt si Rebecca y avait laissé la vie ? demanda Raphaël.

          Je pense que nous avons été tous les deux visés, dis-je.

          Alors, vous pouvez exclure les Français de la liste des suspects. Eux, ils vous veulent vivante, fit Frédéric.

           Rectification : Michael me veut vivante. Mais ce n'est pas ça le problème. Je doute que ça vienne d'un des vampires présents dans la maison. Votre espèce n'est pas vraiment réputée pour avoir le sens du sacrifice.

   A quoi est-ce que tu penses ?

            Soit l'incendiaire a un lien avec les vampires et il faut trouver qui était absent de la maison au lever du jour, soit c'est en lien direct avec l'affaire sur laquelle je suis en ce moment. Je suis la cible et vous, de simples dommages collatéraux.

Frédéric se mit à rire. Un rire glaçant qui me provoqua des frissons dans le dos.

   Des dommages collatéraux ? Voyez-vous ça...

           Deux snipers, probablement des tueurs à gage, ont essayé de me tuer hier. Alors il se peut qu'il n'y ait pas de relation, mais sans vouloir me la jouer parano, je parierais que quelqu'un a une dent contre moi, dis-je d'un ton calme.

   Tu veux dire qu'on a essayé de te tuer et que tu me l'as caché ? demanda Raphaël froidement.

   On pourrait discuter de ça lorsque nous serons seuls ? répondis-je.

   Tu peux compter là-dessus, dit-il d'un ton plein de menace.

Frédéric nous observait, avec des yeux qui disaient « je paierais cher pour assister à cette discussion », mais il se contenta de remarquer judicieusement.

   Une tentative de meurtre ? Hum... la théorie de Rebecca n'est peut-être pas si fantaisiste. Surtout si la personne qui cherche à l'éliminer ignore la présence du Mortefilis et de la délégation française sur votre territoire.

—- Le seul hic, c'est que je ne comprends pas pourquoi le tueur a pris le risque de s'attaquer aussi à Raphaël, dis-je.

   Il n'avait pas le choix, remarqua ce dernier.

   Pourquoi ?

   Parce que s'il vous arrive quoi que ce soit, le maître traquera votre meurtrier, sa famille, ses amis, puis chaque personne impliquée de près ou de loin dans votre assassinat, et il les tuera tous, eux, leurs enfants et toute leur descendance, dit Frédéric d'un ton grave.

—- Très drôle, dis-je.

Je ne parvenais pas à croire que Raphaël puisse être animé par la vengeance. Il était pragmatique, avait le sens des affaires et de la diplomatie. Je le voyais mal trucider des dizaines de personnes sans obtenir pour ça de contrepartie satisfaisante. C'était un comportement beaucoup trop irrationnel pour quelqu'un comme lui.

        C'est une blague, hein ? insistai-je, en me tournant vers Raphaël. Il me fixa sans répondre mais je lus sur son visage que c'était la vérité.

   Tu ne peux pas faire ça. Ça n'a pas de sens.

-         Ça en aurait pour moi. Et ça en a pour Raphaël, dit Frédéric. L'union d'un vampire aussi ancien et puissant avec une mortelle est extrêmement rare, Rebecca. Pour tout dire, un vampire de son âge est normalement incapable de prendre une nouvelle femme et de la marquer. Son pouvoir est trop fort et la détruit systématiquement. Vous comprenez à présent ce que vous représentez pour lui ? Ou pour tout vampire âgé de plus de 1 000 ans ?

   Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ? demandai-je, la gorge serrée, à Raphaël.

   Comme tu le sais, je n'ai pas vraiment décidé ce qu'il s'est passé entre nous, se contenta de dire Raphaël. Je ne t'aurais jamais mise en danger délibérément.

   Je le sais. Mais tu aurais dû m'en parler.

    Tu n'étais pas prête à l'entendre.

Je ne pouvais pas le nier. J'avais tout fait pour lutter contre notre lien ces dernières semaines et contre l'attirance que j'éprouvais pour lui. Si j'avais su l'importance que je revêtais à ses yeux, je me serais sauvée en courant.

-         Bon et maintenant ? Qu'avez-vous l'intention de faire ? fit Frédéric, perplexe.

   Je vais traquer ce foutu meurtrier en série ainsi que tous ceux qui s'en sont pris à nous et nous en débarrasser, dis-je calmement.

           Que diriez-vous d'un peu d'aide, Rebecca ? proposa Frédéric avec un rictus.

          J'en ai déjà trouvé. D'ailleurs, mon associé ne devrait plus tarder.

          De qui parles-tu ? demanda Raphaël avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

           Clarence, l'Assayim de New York, doit passer me prendre dans une bonne dizaine de minutes, répondis-je en regardant ma montre.

Raphaël me fixait, l'air pas franchement ravi.

   Depuis quand faites-vous équipe tous les deux ?

          Il était à mes côtés lorsqu'on nous a tiré dessus. Je lui ai sauvé la vie. Il veut la peau de ces salauds tout autant que moi, dis-je.

          Clarence White n'a pas mauvaise réputation, admit Frédéric. Mais mes hommes et moi-même souhaiterions participer. Felipe n'est pas homme à supporter un tel affront. Il voudra la tête des responsables de l'incendie sur un plateau.

Je ne pouvais décemment pas le leur refuser. Après tout, ils auraient pu tous y passer...

          Pourquoi pas ? Mais à condition que vous restiez sous mon autorité. Je ne veux aucun problème avec les autres clans. Cela vous convient-il ?

           Ce sera amusant. Je vous contacte dès notre réveil, répondit Frédéric.

   Je viens avec toi, dit Raphaël.

          Non. Tu es la seule personne ici, capable de veiller sur tes invités. Tu ne peux pas partir. Pas avec ce qu'il vient d'arriver.

          Elle a raison, maître, dit Frédéric. Nous avons besoin de vous ici. Je commence déjà à sentir le poids du jour tomber sur mes épaules, je ne vais plus tarder à sombrer.

Le sang de Raphaël avait d'extraordinaires capacités. Mais pas suffisantes néanmoins, pour permettre à Frédéric de résister plus longtemps à l'appel des ténèbres.

   Promets-moi d'être prudente, soupira Raphaël.

   Tu ne crois pas que tu vas te débarrasser de moi aussi facilement ? dis-je d'un ton résolument léger, en me dirigeant vers l'escalier.

J'avais à peine pointé mon nez dehors que je faillis être percutée par la BMW de Clarence qui fonçait vers moi à toute allure, dans un nuage de poussière et de crissement de pneus.